Départ à J-1

Ce matin 8 avril 2020 je dois partir pour un périple qui me semble absolument insurmontable : aller à la capitale rendre la voiture de mon amie Armelle, me faire rapatrier par mon aînée qui sortira alors de son travail. Une organisation au cordeau qui doit nous permettre de faire des courses chez un grossiste de la Côte puis passer au Landi acheter ce qui manque encore pour les poules.

C’est vraiment généreux de mettre une voiture à ma disposition pendant cette période de confinement mais contre toutes attentes la présence de cette voiture sous mes fenêtres génère plus de stress que de solutions, incapable que je suis d’élaborer des stratégies et des routines provisoires, mon cerveau ne fonctionnant correctement que lorsqu’il cherche une solution pérenne.

Je crois que le temps et moi, le temps qui passe surtout, serons toujours un peu fâchés. Les matins de congé je me réveille avant l’aube me forçant à rester allongée au moins jusqu’à 06:00 du matin alors que mon réveil oublie de sonner les jours comme aujourd’hui, ceux au programme chargés. Alors que je voulais prendre le temps avant de partir de vous conter par le menu mon premier jour de périple il va falloir que je remette ça à ce soir, voire à demain matin.

Sûre! Ce n’est pas cela qui est arrivé en ce 8 avril de 2014. Je me suis levée dans les temps, il pleuvait mais ils annonçaient une embellie avant midi et pour plusieurs jours. Le « temps qu’il fait » il allait être tout à fait clément avec moi et c’est donc « le temps qui passe » qui m’a une fois de plus décidé de me jouer un tour à sa façon.

Je me suis levée comme prévu, je me suis équipée comme prévu, j’ai fermé la porte de ma maison comme prévu aussi et fière comme un pou, j’ai pris la route, ou plutôt le chemin, exactement comme prévu. Direction Aigle !

La porte est fermée et la roue qui tourne quitte le tarmac de mon aéroport maison

Laly et sa maman traverse le village avec moi et avant de me glisser entre les vignes je sers fort fort ma petite fille contre moi. Elle me tend sa peluche qui s’appelle Nane et me demande de l’emporter avec moi.

Bye bye !

A moi le monde solitaire et profond de l’aventurière… je grimpe bien, je ne fais pas cas des petits déséquilibres de mon Carrix, le sac à roulette est un bon moyen de transport mais il demande à ce que la charge soit impeccablement répartie pour rouler sans gêne, je prends ma première photo que je dédie à ma petite fille et accroche Nane au Carrix.

Sur ma poitrine j’ai une petite sacoche avec notamment le carnet contenant le programme, les étapes, les numéros de téléphone. Je profite de cette pause photo pour me rassurer et regarder mon planning. je suis obsédée par mes lieux d’hébergement, je n’ai jamais dormi ou presque jamais dormi ailleurs que chez moi et je me demande toujours comment cela va se passer. J’ai donc minutieusement prévu toutes les étapes, jour par jour, date par date. Je pense que je le connais par coeur mais se rassurer encore et encore ne peut pas faire de mal.

Alors en ce 8 avril 2014, j’insiste comme auteur de ce texte sur cette date pour bien comprendre la suite, ce 8 avril donc au-dessus de Bex, au départ de deux mois de périple et de plus de 500km, sous une petite pluie qui devrait cesser tout soudain je consulte mon petit carnet de route et à la première ligne il est écrit :

9.04.14/ Aigle / Camping de la piscine

Vent de panique ! On m’attend à la première étape demain !
Houlà houlà là… exclu que j’assume un faux départ. Je ne suis qu’à 15 minutes de chez moi mais je n’y suis déjà plus du tout. Rentrer serait renoncer. Il n’est pas question de renoncer.

Qu’à cela ne tienne, je modifie mon programme :
1. Téléphoner au camping d’Aigle, étape 1
2. Téléphoner au camping de Villeneuve étape 2
3. Téléphoner à l’auberge de jeunesse de Montreux et inventer une étape supplémentaire.
4. Me rendre normalement à Vevey pour l’étape 3 qui devient 4.

Je suis impressionnée moi-même de cet esprit d’initiative qui ne me caractérise pas d’ordinaire et je reprends ma route rassurée car tout le monde a pu répondre favorablement à mes changements.

Le pas est moins léger, le Carrix est en fait complétement chaotique et mal chargé, j’en perds ma gourde qui était accrochée sur le côté, mais j’avance sans l’ombre d’un doute sur le fait que j’irai au bout de cette aventure quoi qu’il arrive.

Et puis le premier rayon est arrivé. Juste un peu avant Antagnes. Je me rappelle exactement la sensation qui m’a poussé à saisir cette image. Une chape de plomb qui s’évapore, comme si le soleil du sous bois entrait dans ma vie pour la première fois et cette sensation que jamais rien ne sera plus pareil.

Dans les bois juste avant Antagnes

Ce soleil, ce sous-bois, cet instant me connecte à moi ce qui pourrait ne pas être une surprise mais me connecte aussi immédiatement à un ami, sans que j’ai pu voir venir les choses. Cet ami c’est Rolf un amoureux des arbres et j’ai cette sensation intime que ce sont les arbres qui me parlent de lui alors même que je le connais si peu.

C’est fugace hein. Parce que sortir comme ça son appareil photo de la sacoche à la taille (qui coince un peu) batailler avec la technique pour la mettre la photo en ligne, faire attention à la pluie qui s’égoutte encore des branches tout en gardant le Carrix mal chargé en bon équilibre c’est plus du sport que de la rêverie ou de la philosophie.

Une fois à Ollon je me décourage devant la grande cote à faire au-dessus des vignes pour passer sur Verschiez et je décide de passer par la plaine, faire un peu de bord de route avant de rejoindre Aigle et son camping.

St-Triphon

J’ai hâte d’arriver au terme de cette première journée. Je n’ai pas encore conscience que deux histoires se déroulent simultanément. Celle de la très grande matérialité des choses et celles des pensées volatiles. Celle du Carrix qui penche et celle de mes émotions enfouies. Celle des aléas du chemin et celle des métaphores avec la vie.

J’ai conscience qu’il existe deux histoires mais je ne sais pas encore qu’elles sont inséparables l’une de l’autre et qu’elles vont se nourrir l’une l’autre, se supporter l’une l’autre et que l’une et l’autre vont me révéler.

Le neuf et l’ancien, le vivant et le mort, l’hier et l’aujourd’hui sont fait pour se succéder et se côtoyer. Et c’est ce que m’apprendra ce pommier que je posterai aussi en marchant.

Hier et aujourd’hui

Et puis il y a eu l’arrivée à Aigle ! Et la question qui m’a cloué au sol en arrivant à la réception : Bonjour avez-vous une carte d’identité ?
– euh non pourquoi ?
– Vous n’avez pas de carte d’identité ?
– Bah si mais j’ai pas pris !
– Je ne peux pas vous accepter !
– ???!!! ??? glurp aie… ouille …
– Mais d’où venez-vous ?
– De Bex
– Mais vous avez vite fait d’aller la chercher
– Euh… mais je suis à pied
– Bah… j’en sais rien moi… et personne ne peut vous l’amener ?
– Euh oui je peux essayer. Je vais appeler ma fille mais elle ne pourra rien apporter avant demain. Mais j
– Bon allez-y installez-vous on verra ça.

C’est ainsi que j’appris, que pour voyager dans son pays, il fallait une carte d’identité. De ma vie ne n’ai jamais eu à la présenter qu’à la poste pour retirer un paquet ou un mandat postal.

Merci Natacha ma fille chérie, qui sur ma demande ira chercher cette carte dans mon bureau et la déposera au camping des Flots Bleus à Villeneuve où je suis attendue pour le 9 au soir, pour que je puisse continuer à voyager dans mon pays sans plus être ennuyée.

Camping d’Aigle au soir du 8 avril 2014 avec tout un fatra incroyable

Et puis j’ai hâte de finir cette journée. Je n’ai même plus la force de voir si mon petit réchaud fonctionne, je suis plus perturbée par les ratés, les erreurs de planning, les oublis de choses vitales que par le succès d’avoir enfin levé le camps. Je m’en vais au restaurant manger un morceau et angoissée jusqu’à l’os comme à l’ordinaire, comme en ce soir du 8 avril 2020 je m’endors comme une masse, sous stilnox n’osant même plus réfléchir au lendemain.

Mais je sais que chaque matin est tout neuf et qu’il suffit de s’en souvenir.
A demain.

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5 commentaires

  1. Messages reçus qui font chaud au coeur :

    « Je suis toujours autant impressionnée par le contenu de tes textes et ce pourquoi tu as réalisé tout ça. Celui-ci n’est en aucun cas lugubre, bien au contraire. Il en émane toujours une source de vie qui fait du bien à lire  » N.

    « Ton texte est magnifique, et je confirme c’est pas lugubre du tout. Tous les détails de ton aventure du 8 avril 2014, je me régale en les lisant. Je m’y retrouve un peu, c’est touchant ton texte » M.

  2.  » l’hier et l’aujourd’hui sont fait pour se succéder et se côtoyer  »
    Le pommier

    Magnifique texte ❤️

  3. Te lire m’émeut. Ca me plonge d’une part dans le souvenir, d’autre part dans la sensation de ma VAE. Un travail de mémoire, une pause intemporelle… dans le temps. Un regard en arrière qui nous force à voir, à revoir, le chemin parcouru, les sensations et les pensées traversées. Exercice perilleux parfois, car, dans mon cas, il a été révélateur de forces que je ne me soupçonnais pas, et que peut-être inconsciemment je refusais de voir, salvateur peut-être parce qu’il oblige a accepter, à reconnaître. Une fois que c’est écrit, est-ce accepté ? Embrassé ?

    Bonne route et merci.

    1. Je ne sais pas mais jamais l’écriture m’emmène où j’ai décidé d’aller… quoi que. On peut perdre parfois son chemin et ne jamais se perdre ^^

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