Clinique: comme une voiture de luxe !

Demain je vais faire enlever les derniers fils qui restent sur ma cheville encore un peu tuméfiée. Il y a deux semaines exactement, je me pointais crânement à la réception de la clinique avec mon sac. Un homme rondouillard et jovial me demande mon nom, ma date de naissance, mon adresse et ma carte d’assuré.

Il me demande pourquoi je viens et quelle sera mon opération. Il me donne des étiquettes et l’ordre de monter au sixième étage. Je m’exécute surprise par ses questions puisqu’il me les a déjà posée lors de ma première visite et amusée par le système de l’ascenseur qui consiste à tapoter son étage de destination en lieu et place d’un simple bouton d’appel. Petit conseil : il ne faut pas tenter de monter dans la même cabine que ton pré appelant, au risque de se faire engueuler. L’ascenseur d’à côté ouvre sa porte pour moi. Je rentre. J’espère arriver à bon port, je me sens un peu perdue dans cette toute petite boîte qui monte sans commande sous les yeux. L’effet de la poussée et rapide et je m’inquiète de n’avoir pas retenu le numéro de la chambre. Je suis déjà décontenancée.

Une femme affable s’empare de mon bagage, je suppose que je dois la suivre dans ce long couloir. Elle n’est pas en blanc comme on pourrait s’attendre des personnes qui travaillent dans une clinique. Ses talons hauts claquent, je peine à la suivre. Elle entre dans une chambre, je la suis mais au moment où je passe le pas de porte elle est déjà au fond de la pièce sans ma valise. Elle donne d’une voix mécanique et lasse toutes sortes d’explications sur toutes sortes de sujets et d’objets, de boîte à clés, de codes secrets et de plusieurs télécommandes. Je suis submergée d’informations et essaie de tout comprendre mais je dois me contenter de saisir où se trouve mon sac et mon armoire et d’apprécier mon lit qui donne sur la fenêtre. Elle me souhaite un bon séjour, me demande si j’ai des questions n’attend pas ma réponse et disparaît. Je ne sais absolument pas ce que je dois faire. Je m’assieds sur le bord d’une chaise.

Une troisième personne entre dans la chambre après avoir frappé un léger petit coup à la porte, celle-ci porte une jaquette de couleur mais je devine une blouse blanche en dessous. Elle me réclame mes étiquettes et me demande comment je vais. Comment je vais ? Alors là, je ne sais absolument pas quoi répondre : à pied ? en bus ? ou alors elle veut savoir comment je me sens ? bien merci et vous ? dois-je lui dire que je suis anxieuse, sereine ou fatiguée? ou alors je dois lui demander qui elle est ou qui était la femme habillée comme un hôtesse de l’air ? dois-je lui raconter mon altercation devant l’ascenseur ? Ou alors elle me demande si j’ai mal très mal à mes genoux ? Comme j’ignore le sens de sa question je décide de ne rien répondre, par précaution. Je lui tends fièrement mes étiquettes, elle s’installe à la table, ouvre son ordinateur portable et me bombarde des mêmes questions qu’à la réception : nom, prénom, âge, allergies, les raisons de mon séjour, le nom du chirurgien, l’opération prévue, etc etc. Elle veut aussi un nom, savoir qui viendra me rechercher. Qu’est-ce qui cloche à me demander toujours les mêmes choses ? Heureusement elle parle gentiment, je réponds tranquillement. Je fais mille efforts pour que mon trouble ne s’entende pas dans ma voix. Elle reste silencieuse maintenant. On dirait qu’elle attend quelque chose, je n’ose pas demander ce que je dois faire. Et je n’ose pas du tout m’installer, ranger mes affaires dans l’armoire, ni mettre la chemise qui est déposée sur mon lit. Je lui demande si j’ai le temps d’aller aux toilettes. Elle lève le nez de son écran, me voit plantée là comme une potiche et me me dit que oui bien sûr, et que je peux m’installer et mettre la chemise de nuit. J’ai du l’énerver. J’ai peur qu’elle me prenne pour une gourde et qu’elle me soigne mal pendant tout le séjour par désintérêt. Je bafouille un peu, essaie de me faire comprendre. Une fois affublée de la robe de bal, la dame me colle un bracelet avec QR-code et s’en va en me souhaitant quelque chose de gentil. Couchée sur mon lit d’hôpital, les yeux au plafond que me demande toujours ce que je dois faire.

Boum la porte s’ouvre bruyamment. C’est la femme à talon et habits Swissair qui revient! Enfin presque : autre tête mais même costume. Elle me fait sursauter. Elle tient un truc à la main en plus de son crayon et à son tour me bombarde de questions anodines. On dirait que c’est toujours les mêmes. Enfin presque. Elle est sèche et froide : avez-vous des allergies, à quelle heure est prévue votre opération, êtes-vous végan ? Végan ? Absurde question. Elle me tend une feuille avec des trucs à cocher, je pense d’abord à une liste d’allergènes, mais c’est pas très clair, il n’y a que des aliments. Ah ! C’est une liste d’aliments. A jeun… je perds mon fil. Elle s’agace, ce sont les menus à cocher! Huit menus ? je suis confuse … Dans la liste je coche comme je peux car je n’ai qu’une hâte c’est qu’elle s’en aille tellement elle me stresse.

Cinquième tête : une femme tout de blanc vêtue entre. Facile à identifier. C’est une infirmière qui vient prendre ma tension. Ce n’est pas la même que tout à l’heure. Celle-ci semble avoir tout son temps. Elle ne me pose pas de question. Ma tension est haute, beaucoup trop haute. Tellement haute qu’on devrait peut être s’inquiéter pour la narcose? Normal mon stress est à son comble. J’ai le sentiment d’être un objet, d’être dépersonnalisée, instrumentalisée. Je ne comprends plus rien et personne ne me comprend. Je me sens à côté de la plaque. J’ai peur, j’ai envie de rentrer, de me mettre à l’abri dans ma bulle, chez moi, là où je maîtrise ma vie et mes échanges. Tant pis si je ne peux plus jamais marcher. Je me sens dépossédée de moi-même. Je veux tout stopper mais je marmonne juste : Je suis stressée.

Elle me dit qu’on va attendre un peu. Elle me parle doucement, je retiens mon flot de questions parce que je sens bien qu’elles sont inutiles. Je n’écoute pas ce qu’elle dit mais je constate qu’elle le dit gentiment. Alors je m’attache à la douceur de sa voix. Mon instinct me guide. C’est la cinquième personne que je vois depuis que je suis entrée dans la clinique. Je comprends que je ne dois pas faire quelque chose qui s’apparente à du « public relation » comme si j’arrivais à l’hôtel, que je ne suis pas à la recherche d’une personne qui pourrait m’aider à passer un bon séjour mais que je suis une simple voiture dans une chaîne de montage. Une voiture certes mais une voiture de luxe.

Et c’est très bien ainsi, il aurait suffit qu’on me le dise avant pour que je le vive bien dès le début. Je dois faire confiance à cette chaîne, chacun y joue son rôle à la perfection. Je ne dois pas chercher à m’attacher à une personne en particulier, mais me laisser porter et jouer le mien de la meilleure manière possible. Il ne s’agit plus d’être décontenancée, surprise ou de me sentir stupide. Il s’agit d’être une patiente détendue, centrée et combative. Ma tension chute idéalement. Je suis prête. Elle me dit d’attendre qu’on va venir me chercher.

Je dessine pour passer le temps.

Quelqu’un vient me raser les jambes, et de 6. Le Brancardier, ça fait 7. Une super personne, courageuse. J’aime beaucoup son sourire. Le huitième c’est un homme masqué qui me repose les mêmes questions. En 9 je retrouve l’anesthésiste. Lui je l’ai déjà vu et c’est le seul que je reverrai. Un vrai échange, le seul humanisé et personnalisé de toute la chaîne. C’est vrai que c’est mieux qu’on se comprenne bien. Il m’explique tout le protocole, je suis concentrée, je comprends tout. Et enfin, en 10ème position: LA poignée de main du chirurgien ! Quel soulagement de le voir. Il me demande de confirmer qu’il doit bien opérer la cheville droite en plus des deux ménisques. Très calmement je rectifie. Il s’agit de la cheville gauche docteur. Il plonge le nez dans ses papiers, confirme, s’excuse. Quelques frissons me parcourent l’échine mais ça me fait rire, toutes ces questions à répétition pour en arriver là.

Je suis confiante. On peut y aller.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *