La pensée de la pèlerine

Je peux dire maintenant sans me mouiller, que la marche stimule la réflexion.

En ce premier mai 2015, j’écoute les gouttes qui tambourinent sur ma caravane avec des nuances à peine perceptibles tant elles rebondissent avec persévérance. Aucune idée ne vient égayer cette retraite quasi monacale.

Pourtant, il y a un an jour pour jour, la même pluie ne me retenait pas, décidée que j’étais à avancer dans ma ronde vaudoise. Alors La Madelon, cap ou pas cap?

Cap sur Orbe. Je me rappelle avoir entendu le coucou pour la première fois. Un sou sur soi, ce jour-là, assure fortune toute l’année. C’est un grand-père qui me l’a dit. Le coucou et le muguet sont liés à jamais à ce 1er mai 2014. Mes pensées s’envolent.

Je ne m’attarde pas. Je ne prend pas loisir de me pencher sur la clochette tendre car la pluie insiste sur son envie de se glisser dans mon cou. J’expérimente l’absence de poésie quand l’inconfort prédomine.

Je croise un promeneur. C’est un promeneur qui n’est pas contraint d’affronter le mauvais temps. Lui et moi, sommes des contemplateurs privilégiés d’un paysage dédaignés de tous.

Mes pensées s’envolent encore. Est-ce que les anciens partaient marcher pour le plaisir alors que la pluie battait le pavé et les prés? Quelle vie pour les pèlerins d’autrefois face aux rigueurs du temps? Quelle place pour le bon sens d’antan dans nos vies douillettes?  Où finit la nostalgie et où commence l’hypocrisie?

Quelque part entre modernité et tradition je me sens à ma place sur ce chemin, je me sens profondément bien. La mauvaise météo est reléguée au rang de détail sans importance. Mes pérégrinations mentales m’emmènent aussi loin que mon itinérance.

Mes pensées débordent,  se gorgent d’images d’épinal, naviguent entre hier et aujourd’hui. Il y a tant de sagesse qui passent au travers des mailles du filet de la vie quotidienne.

Je nage en pleine félicité. Quelle expérience!

Mon image rebondit dans une flaque immense lovée dans un creux du chemin. Je ris sous ma cape. (!) Je ressemble à un coquelicot fané. Je me mets à chanter.

Mes semelles glissent dans la boue et la sueur piégée sous ma veste imperméable fait concurrence aux trombes d’eau venues du ciel pour mouiller ma peau.

Les habits techniques respirent mais ils ont quand même le souffle court quand l’effort bouillonne le sang. Est-ce que les Tricounis, les cirés jaune et les sacs de peau étaient plus pertinents?

En vérité,  je sens l’eau dans mon dos et je perçois nettement un sentiment d’humidité mais le froid ne pénètre pas mes os et je ne vais pas « attraper la mort » comme disait ma grand-mère. Je n’ai pas les pieds pieds mouillés, dans mon sac, mon pain ne gonfle pas comme une éponge et ce soir mes pulls Icebreaker feront la nique aux tricots d’antan en séchant vite fait bien fait.

Tout se passe à merveille, pourtant je ressens un petit soulagement quand j’aperçois la tour carrée de feu le château d’Orbe érodée par des intempéries millénaires. Tant et tant d’années…

C’est à ce moment précis que je ressens le besoin d’énoncer, à haute et intelligible voix, et pour moi-même, le fil reliant toutes ces idées pêchées chemin faisant. Je vais devoir m’installer pour la nuit et je crains que toutes ces richesses ne se noient dans le flot des innombrables tâches qui m’attendent.

C’est alors avec stupeur que je m’entends énoncer très clairement cette vérité impénétrable: L’eau mouille!

Ah ça c’est sûr ! Foi de pèlerine!

… et de cape!

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